La fusée a mis en orbite, ce mardi soir, le satellite Sentinel-1D de la Commission européenne. Le troisième lancement commercial de l’année. Mais l’agence spatiale européenne doit encore convaincre les Etats membres d’en faire plus…

Kourou garde le rythme. Ce mardi soir, la fusée Ariane 6 a mis en orbite le satellite Sentinel-1D de la Commission européenne. D’une masse au lancement de 2,2 tonnes, Sentinel-1D a été placé en orbite basse à 700 km d’altitude et vole désormais en tandem avec Sentinel-1C pour offrir une couverture d’observation optimale de la Terre.

Développé par Thales Alenia Space et équipé d’un instrument radar construit par Airbus Defense and Space, le satellite permet d’observer la Terre de jour comme de nuit et par tous les temps. Sentinel-1D emporte également une charge utile AIS (système d’identification des navires) qui doit permettre de renforcer la sécurité du trafic maritime.

Compléter l’observation de la planète

Pour Ariane 6, ce tir était le troisième lancement commercial de l’année. Un autre est prévu à la mi-décembre pour deux satellites de la constellation européenne de navigation Galileo. Depuis le vol inaugural de l’été 2024, la montée en cadence est donc soutenue : 4 tirs en 2025, 8 prévus en 2026 et une dizaine ensuite.

« Dans l’histoire du spatial, c’est la montée en cadence la plus rapide jamais observée », insiste Josef Aschbacher, le directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA). A la fin du mois, il doit convaincre les Etats membres de l’Agence de consacrer encore 3,5 milliards d’euros de financements aux lanceurs européens au cours des trois années à venir.

Les deux tiers de cette enveloppe doivent permettre de stabiliser l’exploitation d’Ariane 6 et de Vega-C, le tiers restant est consacré au financement de cinq concurrents potentiels. L’ESA a retenu les projets de lanceurs des entreprises allemandes (RFA et Isar Aerospace), britannique (Orbex), espagnole (PLD Space) et française (MaiaSpace). Ils doivent démontrer un premier tir réussi avant la fin 2027. Aucun n’y est encore parvenu.

Depuis le lancement de son premier satellite d’observation il y a onze ans, la Commission européenne s’est constitué une flotte de 12 satellites d’observation de la Terre, qui veillent à tous les aspects de la planète pour suivre l’atmosphère, l’environnement maritime, le sol, le changement climatique, le niveau des mers, les catastrophes naturelles.

Huit autres satellites sont en cours de construction dans le cadre du programme Copernicus, notamment pour mesurer les émissions mondiales de gaz à effet de serre. A ce stade, Simonetta Cheli, directrice de l’observation de la Terre à l’ESA, affirme que l’Europe a construit le thermomètre de la planète le plus avancé au monde. Quelque 25 térabits de données sont produites chaque jour, qui irrigue 400.000 utilisateurs quotidiens.

Pour autant, cette constellation, essentiellement bâtie sur des préoccupations environnementales, ne suffit plus. Depuis l’attaque de l’Ukraine par la Russie, l’Europe a pris conscience qu’il lui fallait davantage de moyens propres de surveillance spatiale et qu’il était urgent de s’affranchir de sa dépendance aux Etats-Unis.

Fin novembre, l’ESA va donc demander à ses 23 Etats membres de financer un nouveau programme d’observation de la Terre à but dual: civilo-militaire. Ce programme nommé European Resilience from Space doit préparer le lancement par la Commission européenne, dans le cadre de son nouveau budget pluriannuel (2028-2034), d’une nouvelle constellation d’observation gouvernementale, capable d’offrir plusieurs images par jour d’un même point.

Lancer davantage

L’ESA doit préparer le terrain, en proposant une architecture susceptible de mettre en réseau les satellites nationaux des différents Etats membres, en étudiant les nouvelles technologies de gestion des données et la digitalisation des satellites. L’Agence souhaiterait lever près d’un milliard d’euros sur ce thème de l’observation de la Terre.

La volonté des Etats membres de souscrire à son programme sera un bon test de la volonté ou non des Européens à renforcer une défense commune. Sachant que les études économiques prévoient un boom du marché des services tirés de l’observation spatiale, et que nombre de start-up européennes attendent avec impatience des débouchés pour confirmer ou non leur développement.

Au vu des projets de la Commission, ArianeGroup aimerait pousser la cadence d’Ariane 6 à douze vols par an, tandis qu’Avio aimerait porter la cadence du lanceur moyen Vega-C à 6 vols par an. Ce qui suppose de nouveaux investissements, et donc des discussions compliquées à Brême, où doit se tenir la prochaine conférence ministérielle de l’ESA.

La volonté de l’armée allemande de se doter rapidement de ses propres constellations renforce le besoin de lancement. Encore faudrait-il que Berlin consente à faire jouer la préférence européenne, plutôt que d’aller acheter des vols chez SpaceX…

ArianeGroup, filiale de Safran et d’Airbus, fait en tout cas beaucoup d’efforts pour devenir moins française et plus allemande. Le constructeur a annoncé le transfert de Vernon, en Normandie, à Lampoldhausen de la fabrication du moteur Vinci, le moteur réallumable, qui équipe le deuxième étage de la fusée Ariane 6. Un crève-coeur pour les équipes normandes.

Sous couvert de rationalisation industrielle, avec un premier étage fabriqué en France et un deuxième étage désormais intégralement réalisé en Allemagne, ce transfert d’activité illustre l’évolution du rapport de force politique au sein du spatial européen. Berlin obtient une plus grande part dans la fabrication d’Ariane 6, en échange de son soutien financier au projet.

Source: Les Échos – Anne Bauer