Le Danemark vient d’acquérir huit systèmes de défense antiaérienne de longue et moyenne portée, dont le système franco-italien SAMP/T NG, qui s’est imposé à la surprise générale face au Patriot américain.
Un tournant historique…
Vendredi, le Danemark a annoncé qu’il allait acquérir huit systèmes de défense anti-aérienne de longue et moyenne portée, pour la somme record de 58 milliards de couronnes (7,77 milliards d’euros). Qualifiée d’« historique » par le ministre de la Défense, cette commande a surtout surpris par le choix des fournisseurs. Alors que le Danemark avait pour habitude de privilégier les Etats-Unis pour ses besoins en matière de défense, comme pour l’achat de 27 avions de combat F-35. Le pays s’est tourné cette fois-ci vers l’Europe. Pour le système à longue portée, le choix s’est porté sur le SAMP/T NG (Système aérien moyenne portée/terrestre de nouvelle génération) produit par la France et l’Italie, tandis que pour les systèmes à moyenne portée, le choix se portera sur un ou plusieurs systèmes produits par la Norvège, l’Allemagne, et la France. Et, véritable fait d’armes, le SAMP/T NG s’est imposé face au… Patriot américain.
« C’est indéniablement un tournant, parce que le Danemark était jusqu’ici l’allié indéfectible des États-Unis en Europe, devant le Royaume-Uni et la Pologne, et il n’achetait quasiment exclusivement qu’américain, explique à 20 Minutes Etienne Marcuz, analyste sur les armements stratégiques. Là, dans un domaine majeur qui est la défense antimissiles, il a fait le choix de l’Europe. »
Le Danemark est « potentiellement en train de se retourner »
« C’est une grosse surprise, et je faisais partie de ceux qui pensaient que les Danois finiraient par prendre le Patriot, ajoute Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux. Très clairement, c’est un message envoyé à Washington après la crise diplomatique entre le Danemark et les États-Unis autour du Groenland. Alors que le Danemark, le pays le plus atlantiste de la Terre, achetait jusqu’ici américain sans se poser de questions, il est potentiellement en train de se retourner. »
Le Danemark avait mis hors service son système de défense aérienne de Hawk il y a une vingtaine d’années, après l’effondrement de l’Union soviétique qui avait entraîné une réorientation des ressources militaires du pays de la défense territoriale vers les opérations internationales. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le réarmement est une priorité du gouvernement de la sociale-démocrate Mette Frederiksen.
En France, le ministère des armées souligne que « ce choix stratégique permettra au Danemark de disposer d’une capacité de défense aérienne de nouvelle génération permettant de protéger son territoire et sa population des menaces aériennes en constante évolution ». Et en faisant le choix d’un système de défense « interopérable avec les systèmes de nos alliés », cela vient aussi « renforcer la sécurité européenne et la défense collective de l’Otan. »
« La Marine Nationale a prouvé que les Aster pouvaient aussi intercepter des missiles balistiques »
Lors d’une conférence de presse, les autorités danoises ont précisé que cet investissement ne signifiait pas un refus des systèmes américains. « La vitesse de livraison a été déterminante ici, et les délais de livraison sont plus longs pour le système Patriot », a affirmé le directeur de l’Agence danoise du matériel de défense Per Pugholm.
« Techniquement, le Danemark a fait ce choix car il était pertinent » analyse Stéphane Audrand. « Pendant très longtemps, le Patriot était quasiment le seul système qui pouvait être certifié « combat proven » concernant l’interception de missiles balistiques, un domaine majeur dans la défense aérienne, sachant que c’est un missile particulièrement difficile à intercepter, et qu’un avion de chasse ne peut pas le faire. En gros, c’était Patriot ou rien, explique-t-il. Or, la Marine Nationale, en montrant que les Aster européens pouvaient intercepter des missiles balistiques en mer rouge, a prouvé que le système SAMP/T savait aussi le faire. »
Voilà qui montre aussi que l’Europe, et en particulier la France, peut s’imposer dans des compétitions pour des armements dimensionnant, en dehors du Rafale. « En réalité, il y a très peu de domaines dans lesquels on ne trouve que les Américains. Hormis pour la furtivité dans la cinquième génération d’avions de chasse, les liaisons de données tactiques, et les constellations de satellites, il existe une offre européenne dans pratiquement tous les domaines, du sous-marin à l’avion de chasse en passant par les frégates et les missiles » pointe Stéphane Audrand.
Et, pour remporter des marchés, « plutôt que de pousser nos partenaires à acheter coûte que coûte français, il vaut mieux d’abord leur montrer que l’on est crédible, ajoute Etienne Marcuz. C’est ce qu’on a fait avec le Danemark, en les soutenant quand les États-Unis les menaçaient : on a envoyé un A400M et un MRTT au Groenland, Emmanuel Macron y est allé… Et cela a payé. Cela nous prouve qu’il faut travailler sur la confiance mutuelle. »
Multiplication des menaces
Ce choix est, évidemment, aussi une bonne nouvelle pour Eurosam, l’entreprise détenue à 50 % par MBDA et 50 % par Thales, coproducteur du SAMP/T, surnommé en France le « Mamba ». « Cela va permettre de faire tourner les chaînes de MBDA et certainement de faire chuter le coût unitaire des missiles [le coût d’un Aster 30 est évalué à environ deux millions d’euros] » pointe Stéphane Audrand.
Avec l’accélération du programme ASTER, MBDA confirme son rôle de pilier de la défense européenne. La consolidation de cette filière stratégique illustre une tendance de fond : l’Europe s’équipe non seulement pour renforcer ses armées nationales, mais aussi pour peser davantage au sein de l’OTAN, en s’affirmant comme un acteur autonome face aux grandes puissances.
Source: 20 Minutes