Airbus, Leonardo et Thales ont signé un protocole d’accord en vue de fusionner leurs activités spatiales dans une société européenne commune. Satellites de communication, navigation, observation, capsules lunaires, défense, intelligence… la nouvelle entreprise veut devenir un géant mondial.
Cette fois-ci, c’est officiel. Comme le laissaient entendre « Les Echos » en tout début de semaine, Airbus, Thales et Leonardo ont officialisé jeudi matin la création d’un nouveau champion européen des satellites à vocation mondiale. Sur la base des chiffres de 2024, la nouvelle société compterait 25.000 salariés pour 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, un montant qui pourrait augmenter rapidement, au vu des immenses besoins spatiaux civils et militaires en discussion en Europe.
« C’est un projet fantastique, historique. Il y a plus de vingt-cinq ans, nos prédécesseurs regroupaient leurs activités aéronautiques pour créer un leader dans l’aviation civile et Airbus est bien devenu un leader mondial. Notre rêve est de créer un grand leader mondial du spatial », expliquent en substance les PDG des trois entreprises, Guillaume Faurv (Airbus). Patrice Caine et Roberto Cingolani (Leonardo), qui se sont répartis, ce jeudi, les entretiens avec la presse.
Dès l’annonce de la signature de leur protocole d’accord pour fusionner l’activité spatiale des trois groupes, les investisseurs ont réagi positivement. En début d’après-midi, le titre de Thales gagnait 1,6 % à la Bourse de Paris, celui d’Airbus 0,8% et celui de Leonardo 0,9 % à Milan.
Un siège social installé à Toulouse
Cet accord est « une excellente nouvelle », a rapidement réagi le ministère français de l’Economie, Roland Lescure. « La création d’un champion européen des satellites permettrait d’augmenter les investissements de la recherche et de l’innovation dans ce secteur stratégique et ainsi de renforcer notre souveraineté européenne dans un contexte de compétition mondiale intense. »
Alors que son siège social sera installé à Toulouse, dans le sud-ouest de la France, la nouvelle entité emploiera quelque 25.000 personnes à travers l’Europe et bénéficie d’ores et déjà d’un carnet de commandes proche de 20 milliards d’euros.
Les dirigeants sont formels : la nouvelle société n’aura rien d’un Meccano institutionnel ou politique. Le constructeur de satellites sera 100 % privé, son capital étant partagé entre trois sociétés mères, Airbus détenant 35% de l’ensemble, tandis que Thales et Leonardo auront 32,5 % chacun. La gouvernance sera équilibrée, le futur dirigeant de cette entité devra obtenir l’unanimité de son conseil d’administration pour toute grande décision stratégique.
Airbus devra détourer ses activités spatiales aujourd’hui intégrées dans la division Airbus Defence and Space, ses principaux sites industriels étant situés à Toulouse, à Elancourt, en Bavière et dans le nord de l’Allemagne. Le groupe apporte ses salles blanches de construction de satellites, mais aussi les services spatiaux (renseignement images).
Pour Thales et Leonardo, déjà alliés au sein des sociétés communes Thales Alenia Space et de Telespazio, l’apport est plus simple. « Ensemble, on a toutes les technologies et toutes les compétences, au plus haut niveau mondial, la seule chose qui manquait était l’effet d’échelle, pour rationaliser la recherche et le développement, porter des projets plus grands, mieux servir les besoins des Etats, que ce soit pour la communication, la météo, l’observation de la Terre, la navigation, la défense, l’exploration et la recherche scientifique », soulignent les dirigeants.
Décollage prévu en 2027
De la signature du protocole d’accord au lancement de la nouvelle société, il devrait s’écouler encore près de deux ans, le temps de consulter les représentants syndicaux et d’obtenir les feux verts des diverses autorités de concurrence. En attendant, chaque société poursuit sa marche comme d’habitude.
Du côté social, la fusion d’Airbus et de Thales dans les satellites, un serpent de mer évoqué depuis vingt ans, comme le rappelle la CFE-CGC d’Airbus Defence and Space dans son communiqué, doit pouvoir se dérouler sans fermeture de site, ni départ forcé. Bien que les deux entreprises soient en concurrence frontale, la croissance des marchés dans les années à venir est telle que la nouvelle entité devrait avoir besoin de tout le monde.
Du côté des autorités de concurrence, le déclassement européen est tel que les patrons des trois grandes entreprises aérospatiales devraient prouver sans difficulté à la Commission européenne que la compétition ne se joue plus à l’échelle européenne mais mondiale. Par ailleurs, la montée en puissance de l’écosystème européen du New Space ainsi que du fabricant de satellites allemands OHB devrait éliminer les risques de monopole. D’un point de vue comptable, les soultes en cash à apporter pour équilibrer les apports de chacun par rapport à la répartition du capital ne seront évaluées qu’in fine, en 2027, une fois toutes les étapes franchies.
Une volonté
Les trois dirigeants déclarent s’être assez rapidement entendus sur les grands principes de l’alliance, chacun étant convaincu que l’évolution du secteur spatial imposait de passer à une autre échelle, pour permettre à l’Europe de prendre davantage de risques.
Le projet, surnommé « Bromo », va d’ailleurs dans le sens des recommandations faites par Mario Draghi dans son rapport sur la compétitivité européenne. Le déclic a certes été accéléré par les difficultés enregistrées tant chez Airbus que Thales pour mettre au point leur dernière génération de satellites de télécommunication reconfigurables (avec des faisceaux digitaux, numérisés et reprogrammables).
Les retards des générations OneSat d’Airbus et Space Inspire de Thales Alenia Space ont entraîné de lourdes pertes. Deux programmes similaires, sur lesquels les deux opérateurs se sont fait une compétition féroce, à leurs dépens… et aux dépens de celui du contribuable, l’Agence spatiale européenne aidant chacun des acteurs.
Dans son rapport, Mario Draghi soulignait qu’en investissant à peine le tiers du montant dépensé par les Etats-Unis, l’Europe était parvenue peu ou prou à rester dans la course au cours de la dernière décennie, mais que l’écart de financement se creusant de un à cinq, voire de un à dix, la survie imposait un sursaut.
Source: Les Échos – Anne Bauer
